Interdisons les armes policières mutilantes !
Une vie, un œil, un pied, une main, … Les nombreux dégâts humains – physiques et psychologiques – causés par les armes policières mutilantes en France sont inacceptables. Il faut les interdire d’urgence. Il en va du respect des personnes et de leurs droits les plus élémentaires.
Après les banlieues, les supporters sportifs, les ZAD, la COP 21, les manifestations contre la «Loi Travail», la répression du mouvement des Gilets Jaunes a démontré une nouvelle fois, et de manière plus intense encore, le caractère mutilant et potentiellement homicide des armes policières utilisées contre la population sur ordre du gouvernement.
Parmi ces armes policières, on trouve les lanceurs de balles de défense (dont le LBD40), les grenades de désencerclement (“Dispositifs Manuels de Protection DMP” ou “Dispositifs Balistiques de Dispersion DBD”) et les grenades assourdissantes lacrymogènes (dont la GLI-F4). Cet arsenal fourni aux forces policières françaises est sans équivalent en Europe [1]. La dangerosité de ces armes est reconnue, certaines étant classifiées comme « armes de guerre » [2], d’autres étant interdites par la Convention de Genève. En décembre 2017, le Défenseur des droits recommandait l’interdiction de l’usage du LBD en raison de sa dangerosité. En janvier 2019, il demandait sa suspension. Or, à ce jour, cette arme est toujours utilisée.
Le résultat de cette violence d’Etat est catastrophique. Les dégâts humains causés par ces armes sont incontestables : éborgnements, mutilations, traumatismes maxillaires et crâniens, décès. Ils n’ont rien de proportionné avec les actions que les forces de police prétendent vouloir arrêter. Une publication scientifique [3] a recensé 43 personnes gravement blessées à l’œil ces dernières années (dont 40 entre 2018 et 2019). Parmi ces victimes, 25 souffrent d’une fracture orbitale, 12 d’une fracture de la face et 2 d’entre elles de dommages au cerveau. Depuis 20 ans, il y a eu plus de 60 énucléations [4]. Pour le seul mouvement des Gilets Jaunes, 24 manifestant-e-s ont perdu un œil selon le décompte du journaliste David Dufresne entre novembre 2018 et juin 2019 [5]. A cela s’ajoutent 315 blessures à la tête, 18 à la main, dont plusieurs arrachements, 28 au dos, 75 aux membres supérieurs, 131 aux membres inférieurs, 4 aux parties génitales… mutilations que le site « Le mur jaune » a de son côté contribué à rendre visibles [6]. Ces décomptes, qui restent incomplets, sont à mettre en relation avec le nombre astronomique de tirs reconnus par le Ministère de l’Intérieur au 29 août 2019 pour le seul mouvement des Gilets Jaunes : 19 071 tirs de LBD, 1 428 tirs de GLI-F4, 5 420 tirs de grenades de désencerclement[7].
Un sentiment d’impunité s’est installé. En mars 2019, le Haut-Commissariat des Nations-Unies aux Droits de l’Homme a appelé l’Etat français à réaliser une enquête approfondie sur tous les cas signalés de recours excessif à la force lors des manifestations. En octobre 2019, l’IGPN (Inspection Générale de la Police Nationale) continuait imperturbablement à classer sans suite la quasi totalité des affaires. Elle emploie dans ses rapports des arguments aussi surréalistes que « l’impossibilité d’identifier le policier qui a tiré » malgré les nombreux enregistrements vidéo facilement accessibles sur internet. Le gouvernement cautionne de fait les violences policières en niant le droit de «parler de violences policières», en décorant des policiers impliqués dans des blessures ou des décès, et en laissant de trop nombreux membres des forces de police agir et utiliser leurs armes sans retenue et en dehors des procédures réglementaires. L’intimidation et la répression des opposant-e-s mais aussi des observateurs et observatrices, des secouristes bénévoles, des journalistes se multiplient. L’usage de matériel de protection a été rendu illégal. Ce matériel, pourtant indispensable face aux armes policières employées, fait l’objet de confiscations récurrentes et peut conduire leurs détenteurs et détentrices en prison.
Enfin, le traitement médiatique réservé aux victimes influence l’opinion publique au point de rendre légitime aux yeux de beaucoup la mutilation d’êtres humains. C’est ainsi qu’un syndicaliste policier, devant l’image d’un jeune manifestant dont la main vient d’être emportée par une grenade, s’est autorisé à dire « bien fait pour sa gueule» à une heure de grande écoute sur CNews.
Les quartiers populaires et les abords des stades ont été confrontés les premiers à la violence des armes mutilantes. L’utilisation systématique de l’arsenal actuel (LBD40, grenades DMP, DBD et GLI-F4) contre tout mouvement populaire ou social renforce ce climat d’insécurité et de violences policières, qui plus est quand il est combiné à d’autres modes d’intervention (nasses, matraquages). Ces armes mettent gravement en danger l’intégrité physique des personnes et touchent toute la population : un grand nombre de manifestant-e-s, de simples passant-e-s ne participant pas aux manifestations ont été gravement blessé-e-s à la tête, des familles avec enfants ont été prises dans des nuages de gaz lacrymogènes, et une vieille dame, Zineb Redouane, a été tuée par une grenade lacrymogène, chez elle, à Marseille… Ce niveau accru de répression et de violence dans les interventions policières se manifeste et tue jusque dans les événements festifs, comme en témoigne la mort de Steve Maia Caniço lors de la dernière Fête de la musique à Nantes.
Ce climat de violence inacceptable est entretenu pour faire peur. Nombreuses sont les personnes qui hésitent désormais à descendre dans la rue pour exprimer collectivement leurs opinions. C’est une limitation de fait de nos droits, notamment celui, constitutionnel, de manifester. Et c’est un moyen pour le gouvernement d’imposer par la force des politiques contestées. Les cas recensés ne permettent plus au discours officiel de sous-évaluer ce qui, de toute évidence, est un recul des libertés publiques.
Cet état de fait est inacceptable dans un Etat de droit. Le niveau de violences policières dans un pays comme la France commence à servir d’alibi partout où les mouvements populaires sont réprimés, que ce soit en Catalogne, à Hong Kong, en Russie ou au Chili…
Afin que cessent les mutilations, il ne convient plus de discuter d’une nouvelle doctrine d’emploi de ces armes maisd’en interdire strictement l’usage, que ce soit lors des manifestations, dans les quartiers ou autour des stades. Et c’est dans la loi que doit s’inscrire cette interdiction.
La campagne que nous lançons aujourd’hui vise à obtenir cette interdiction en s’appuyant sur les initiatives déjà existantes et en fédérant largement les citoyen-ne-s, collectifs, associations et organisations.
A Montpellier, le 18 novembre 2019.
[1] Voir par exemple le tableau comparatif réalisé par l’ACAT en 2017. https://www.acatfrance.fr/public/tableau-comparatif-armes.pdf
[2] Décret n°95-589 du 6 mai 1995 fixant le régime des matériels de guerre, armes et munitions. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000005618597
[3] Lancet, 2 novembre 2019, p. 1616-1617. https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(19)31807-0/fulltext
[5] Fil tweeter Allo@Place_Beauvau de David Dufresne dans http://www.davduf.net/alloplacebeauvau
[6] Le Mur Jaune sur http://lemurjaune.fr/
[7] Streetpress. https://www.streetpress.com/sujet/1572862226-streetpress-documente-repression-mouvement-gilets-jaunes-justice-police
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